Les origines
Puy-Verd domine au sud le " Pays de Kercorb ". Avant notre ère, d'après Pline, une tribu celtique, les " Bercorbates " aurait vécu sur le flan septentrional des Pyrénées; chassée par d'autres occupants, notamment les Romains, elle aurait ensuite disparu mais en léguant son nom, contracté en " Kercorb " et à consonnance bretonne, à cette contrée étirée sur 25 kilomètres de long le la rive droite de l'Hers. De l'an mil à 1200, le Kercorb fut ,un objet de convoitise et parfois de querelles entre de puissants seigneurs : le comte de Toulouse, le comte de Foix et le vicomte de Carcassonne. Un acte de 1167 donne les principaux centres parmi lesquels certains ont aujourd'hui disparu : retenons Eissalabra - (Chalabre) Montgardens (Montjardin) Sancta Columba (Sainte Colombe) sur l'Hers, Rivel, Cambels ? (Campeille, hameau de Puivert) Balaguerium, Ourjac (hameau de Sainte Colombe) Font-frigidus (Piccolordy) Vallis Amoris (Notre Dame du Val-d'Amour près de Belesta). Curieusement, Puivert n'est pas cité. Ce fief, où régnaient les Congost, était une dépendance de Raymond Bérenger comte de Catalogue et d'Aragon (Casimir Pont, "Histoire de la Terre Privilégié" p. 55). Aucun vestige, aucun document, ne permet de fixer avec précision la date de construction du château primitif. On pense qu'il fut bâti vers le milieu du XIIème siècle.
Le château des Troubadours
"Dins nostra Occitania, coda ciutat, cada castël, èra un nfs de poësia. Los trobadors cantavan la prima, cantavan le bonur d'èstre en vida, cantauan la beîtat...". (Dans notre Occitanie, chaque cité, chaque château était un nid de poésie. Les troubadours chantaient le printemps, chantaient le bonheur de vivre, chantaient la beauté...). Abbé Joseph Saïvat, natif de Rivel, près de Puivert. Mainteneur de l'Académie des Jeux Floraux, Professeur de littérature d'Oc à Toulouse. Puivert fut le rendez-vous des troubadours roussillonnais et provençaux. Cl. Fauriel, auteur de "l'Histoire de la Poésie provençale" déclare : que le plus ancien concours de poètes se tint au Puy-Verd, dans la partie méridionale du diocèse de Toulouse. Une pièce de vers de Peire d'Auvergne est signalée comme ayant été composée au Puy-Verd dans les assemblées aux flambeaux où l'on récite nouvelles et fabliaux en jouant et en riant ". C'est en effet à l'occasion d'une importante réunion de troubadours, en 1170, que Peire d'Auvergne aurait composé à Puy-Verd une " satire littéraire " de douze couplets qui se termine par : "Lo vers fo faitz aïs enflabotz" "A Puoich-Verd tôt iogan rizen" (Ce vers fut composé au son des cornemuses à Puivert, parmi les chants et les rires). Les troubadours s'étaient joints au cortège des dignitaires, venus de la Cour de Castille, accompagnant le jeune roi Alphonse VIII, qui allait à la rencontre de sa fiancée Aliéner conduite à Bordeaux par sa mère Aliéner d'Aquitaine, épouse d'Henri Plantagenêt, duc d'Aquitaine et roi d'Angleterre. On comprend qu'il y ait eu sur le parcours de grandes festivités et notamment à Puivert, dans ce site enchanteur. Le Docteur Girou raconte dans son livre, " Trencaueî et le drame albigeois ", que vers 1185, Trencavel revient d'une fête au Puy-Verd, fête à laquelle avaient pris part, avec Raimon Roger de Carcassonne, la " Louve " Etiennette de Pennautier, ainsi qu'une petite Mauricaude Isaed dont il raconte les ébats dans le bassin du château et sur le lac de Puivert, "tandis que la fête nocturne se déroule dans l'air tiède d'une nuit d'été et qu'au son des violes et des mandores glissent les barques en fleurs".
Le château des Cathares
"L'histoire, une réalité vécue au jour le jour, par des gens comme nous, sur un sol qui demeure le même ou brille le même soleil, où souffle le vent" Michel Roquebert (l'épopée cathare). Au moment de la croisade contre les Albigeois, en 1209-1210, le château appartenait à Bernard de Congost qui possédait aussi des biens à Labastide de Congost (aujourd'hui Labastide sur l'Hers, Ariège) ainsi qu'à Paris (Ariège). Vers 1208, Alpaïs épouse de Bernard de Congost, mère de Gaillard, tomba malade à Puivert et, sentant sa mort prochaine, désira recevoir le Consolamentum (unique sacrement Cathare). Elle fut transportée à Paris (Ariège) où des "Parfaits" la consolèrent en présence de son mari, de son fils Gaillard et de nombreux chevaliers.
Alpaïs était la sœur d'Arnaud-Roger de Mirepoix et de Raymond de Péreille, dont les familles eurent partie liée avec les hérétiques. Bernard de Congost devait mourir à Montségur en 1232. Il fut "consolé" par le diacre Pierre Tournier et le parfait Pierre de Paris en présence d'une nombreuse assistance. Les cousins Bertrand et Gaillard devaient ensuite unir leur destin dans la résistance occitane : ils furent parmi les défenseurs du château de Montségur en 1243-1244. Le sergent Sicard de Puivert fut gravement blessé à Montségur au début du siège et mourut de sa blessure en Juin 1243. Saissa de Congost, la fille de Bernard, devenue "parfaite" en 1240, mourut sur le bûcher le 16 mars 1244.
La croisade contre les Albigeois
Conduits par le Légat du Pape, descendus avec les flots du Rhône, chevaliers " français ", champenois, bourguignons, suivis de mercenaires, de truands en grand nombre, vont s'abattre sur le Midi pour en extirper l'hérésie. Hérésie : c'est le nom donné à une nouvelle religion, simple et pure, venue du cœur de l'Asie, qui fait de plus en plus d'adeptes (on nomme ces adeptes : hérétiques, albigeois, cathares, chrétiens) en Languedoc, dans le peuple des campagnes, parmi les artisans et commerçants des cités, mais aussi parmi les " puissants ", qu'ils soient de la maison de Foix, de Toulouse ou de la famille des Trencavel de Béziers et de Carcassonne. Béziers subit le premier choc : la ville est mise à feu et à sang. Narbonne, effrayée, n'offre aucune résistance. Quant à Carcassonne, en dépit de ses tours et ses murs, la faim, la soif, la chaleur (on est en août), la maladie vont avoir raison en quinze jours de la population massée dans la Cité.
Le jeune vicomte Roger de Trencavel est saisi et jeté dans un cul de basse-fosse de son propre château, où il ne tardera pas à trépasser. Simon de Montfort devient le chef de la Croisade. De Cacas-sonné, il va fondre sur les châteaux à l'entour, dressés sur les hauteurs. Après Minerve, c'est Termes dans les Corbières, puis Coustaussa dans la moyenne vallée de l'Aude, et ensuite Puivert. Nous sommes en novembre 1210. Les défenseurs, aidés par des Aragonais, sont vite submergés par le flot des assaillants et ces derniers s'emparent du château par des attaques renouvelées après trois jours de siège. Mais ? Pour l'assaillant, c'est la déception : le donjon et les tours sont vides. Hommes et femmes valides se sont glissés dans un souterrain qui leur a permis de s'éloigner et de s'égailler dans les bois.
Source : Casimir Pont, "Histoire de la Terre privilégiée", pp. 53-54.
Un document déclare que : "Simon, chef de la Croisade donna ordre à Pons de Bruyères le Châtel d'aller, en qualité de son lieutenant, avec un corps de 6000 hommes, dans le pays du Kercorbez, où il prit plusieurs châteaux, entre autres celui de Puivert qui se rendit après trois jours de siège. Montfort lui donna tout le pays qu'il avait conquis divisé en deux baronnies, Chalabre et Puyvert". Il convient néanmoins d'ajouter, après le Dr Courrent, que Pons de Bruyères ne s'est pas qualifié seigneur de Puivert immédiatement après la prise du château. En effet, c'est Lambert de Thury (celui-ci devint quelques années après seigneur de Limou, puis sénéchal de Beaucaire), qui en 1213 s'intitule seigneur de Puivert et signe en cette qualité, la donation des trois araires et de huit arpents de terre qu'il fit au monastère de Prouilhe, "Lambertus de Thury, Dominus Podio-Viridis" (cité par le Docteur P. Courront : "Excursion au pays de Kercorb par Limoux, le col de Festes, Puivert et Chalabre",
Source : Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude, t. XXX, 1926, p. 154.
Après Puyvert, Simon de Montfort dirigea ses troupes sur Lavelanet, Mirepoix, poursuivant ses conquêtes et répandant la terreur en direction de Toulouse. Le 12 septembre 1213 se situe le point crucial de cette tragédie. Ce jour-là, à Muret (près de Toulouse) se trouvent face à face sur les bords de la Garonne les troupes alliées de Toulouse et d'Aragon, face à l'armée de Simon de Montfort. Beaucoup plus nombreuses, les troupes de Raymond VI et Pierre II d'Aragon auraient dû l'emporter. Mais, trop confiant en sa valeur et en son prestige, Pierre II fut tué, et la victoire fut totale pour les "Croisés". Le 12 septembre 1213 à Muret, le cours de l'Histoire eût pu être changé. Cette journée sonna le glas du Catharisme et de l'Occitanie et brisa la perspective d'un prochain et puissant État méditerranéen. A Puivert, Pons de Bruyères le Châtel va s'installer au château. Son fils Jean lui succédera et c'est sous son règne qu'allait se produire une épouvantable catastrophe.
La légende de la Dame Blanche
Au château de Puivert vivait alors une princesse aragonaise, hôte illustre qui y avait élu domicile et décidé d'y finir ses jours. Comme elle était vêtue de blanc, on l'appelait la " Dame Blanche ". Elle adorait les crêtes dentelées, la majesté du site et l'imposante beauté du lac. En bordure, à peine effleuré par l'onde, émergeait un rocher auquel un caprice de la nature et l'assaut répété des vagues avaient donné la forme d'un fauteuil. Notre belle princesse, entourée de ses gens, se faisait porter là, les soirs d'été, par quatre esclaves sarrazins, sur un palanquin d'or. Elle venait admirer le coucher du soleil et les vagues courant, se poursuivant, jouant et scintillant sous ses rayons obliques à la surface de l'eau. Mais parfois, sous la pluie et le vent, le lac gonflait ses eaux, les vagues déferlaient sur le trône de pierre en lançant des embruns et la princesse était frustrée de sa mélancolique rêverie. Elle s'en ouvrit à Jean de Bruyères qui fit entreprendre des travaux pour abaisser le niveau du lac. Ces travaux furent-ils commencés imprudemment ? Tout à coup, les rochers minés par l'érosion s'effondrent, le trône de pierre bascule, les eaux se ruent dans la vallée : terre, rochers, princesse, travailleurs, tout fut englouti, emporté par les flots.
L'assèchement du lac
Huit lieues plus bas, la cité de Mirepoix, alors si prospère, fut complètement détruite. Elle devait être ultérieurement rebâtie, mais sur l'autre rive de l'Hers. D'autres villages disparurent lors de cette catastrophe et certains ne devaient jamais être reconstruits. Dans l'Ariège. Ce désastre longtemps imprimé dans les mémoires son mauvais souvenir. De nombreux historiens, parmi lesquels l'astronome Vidai, M. Berges (dans sa description au département de l'Ariège et un prêtre du diocèse de Pamiers, font mentionnée dans leurs écrits et en ont situe la date à la mi-mars de Tonnée 1279. Mais peut-être... Jean de Bruyères espérait-il en abaissant le niveau du lac, agrandir son domaine. Imprudente et regrettable entreprise. Aujourd'hui il reste les "camps" disséminés dans la "Plaine", devenus des centres agricoles après avoir été surtout de petits ports de pêches.
La Terre Privilégiée
Jean Seigneur de Bruyères, baron de Puivert, Chalabre et dépendances, chambellan du roi Philippe III le Hardi, fut appelé en 1283 pour accompagner à Bordeaux ce prince en lutte contre les anglais. Ce dernier, en considération de ses services, le déchargea à perpétuité de toutes sortes d'impôts envers la Couronne. Ce privilège fut confirmé jusqu'à Louis XVI, par lettres patentes, par tous les rois de France qui se sont succédés. En fait Puivert et le Kercorbez étaient une marche frontière du Royaume de France. Le château constituait, face à l'Aragon puis l'Espagne, avec Puyiaurens, Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar, un des éléments de cette défense chargée de protéger le Royaume de France (cela changea en 1659 avec le Traité des Pyrénées qui éloignait la frontière d'Espagne en rattachant le Roussillon à la France, date à laquelle ces châteaux perdirent leur importance).
L'agrandissement du château
C'est après le mariage de Thomas de Bruyères, fils de Jean, et d'Isabelle de Melun en 1310 qu'eut lieu l'agrandissement et l'embellissement du château. Le fier donjon, la cour d'honneur, les murs et les courtines datent donc de la première moitié du XIVe siècle.
La transaction de 1322
Cet acte (le château de Puivert y est désigné sous le nom latin de : "Castri de Podio Viridi") fut souscrit entre "Thomas de Bruyères, seigneur de Puivert et Isabelle de Melun son épouse d'une part et les consuls (les consuls au nombre de deux ou trois étaient choisis parmi les habitants notables et surtout fervents catholiques) de Puivert et habitants de " l'Université " (l'Assemblée Générale des bourgeois de la ville) d'autre part". L'essentiel en est la concession fait par le seigneur aux habitants de Puivert des terres propres à produire du blé, vin, légumes, à condition qu'ils se soumettent à l'agrier, c'est-à-dire à la cession du neuvième de tous les fruits, les gerbes apportées sur l'aire et le vin dans la fine du seigneur. L'acte précise le droit qu'ont les habitants de cueillir dans certaines forêts des rameaux d'arbres verts pour la nourriture de leurs bêtes (à condition de ne pas couper la cime des arbres) et celui d'y faire des piquets et du bois de chauffage ainsi que des "garniments de socs ou araires, redortes et picots".
Les familles seigneuriales
De 1350 date de la division de Kercorbez en deux baronnies : Puivert et Chalabre. Après les Bruyères, de puissantes familles seigneuriales se sont succédées à Puivert : les Voisins d'Arqués et de Couiza, les Joyeuse; en 1593, le fief de Puivert appartint à Jean Pressoires riche marchand et fabricant drapier de Chalabre, seigneur de Tournebouix... et en 1655 les seigneuries de Sainte-Colombe, Rivel et Puivert passent par testament à Messire François de Roux, conseiller du Roy et juge-mage de la sénéchaussée de Carcassonne. En 1680 la seigneurie de Puivert fut élevée en marquisat.
Le curieux destin du seigneur de Puivert, sous la Révolution
La famille de Roux régnait sur le marquisat de Puivert en 1789. Victor, Charles, François de Roux fut parmi les victimes de la Terreur. Bernard Emmanuel, seigneur de Puivert, son frère, résidait alors dans son château de Sainte-Colombe, en meilleur état que celui de Puivert. Mais une révolte l'obligea à fuir. Après bien des péripéties, il rejoint les émigrés en Belgique et, au service du comte d'Artois et du prince de Condé. Il est à plusieurs reprises envoyé en France, chargé de "missions dangereuses". Le 12 mars 1804, il est arrêté à Belleville près de Paris. Pendant tout le Premier Empire, il va rester emprisonné d'abord au Temple, puis à Vincennes. En 1814, avec la Royauté restaurée, Puyvert va devenir Gouverneur de cette forteresse. Mais voilà qu'en mars 1815, Napoléon revient de l'Île d'Elbe. Parvenu à Paris et apprenant la chute de Vincennes, Napoléon s'intéressera au sort de son gouverneur et marquera sa satisfaction à l'officier qui lui a fait le récit de cette reddition en apprenant que "Puyvert" n'a pas été massacré. (Las Cases, le Mémorial de Sainte-Hélène). Le Général de Puyvert retrouvera ensuite son poste de Gouverneur de Vincennes qu'il conservera jusqu'à la révolution de 1830. Les Roux de Puivert, dépossédés pendant la Révolution et sous l'Empire, furent remis ensuite en possession du château de Puivert partiellement démoli en 1793 et retrouvèrent même certains droits sur les terres de leurs anciens domaines.
Source : Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude, T. XVI, 1905. p, 91.

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